• Je suis la fiancée de l'eau. Depuis des années, mon corps repose là, sous les roseaux. Mes membres raidis se sont collés contre la roche qui sombre au fond de cet étang. Ce sont mes cheveux qui flottent à la surface et qui chatouillent les pieds des nageurs amusés. On m'appelle la nymphe du rivage, comme si ma beauté ne se voyait pas. En effet, cela fait longtemps que je me suis couchée et personne ne m'a rendu visite. Ils ne m'entrevoient pas et sont pourtant tous à quelques mètres de moi. Le regard en l'air, de mes yeux délavés, j'observe les rayons du soleil qui frappent les vagues. Comme le plafond de ma chambre d'enfant. Tous ces mirages, des souvenirs qui transpercent mes yeux. Si un jour quelqu'un m'avait aimée. Quelqu'un m'avait enlacée. M'avait embrassée, un vrai baiser. Un baiser sincère. Si on avait osé. Mais. Aujourd'hui ce sont les courants d'eau qui me prennent doucement, comme des souffles voulant me réveiller. Je ne peux même plus leur rendre leurs tendresses, mes lèvres se sont cousues. Cela attriste aussi mes amis les poissons, qui me chuchotent des sourires à l'oreille. Je ne peux leur répondre, la gorge inondée, les cordes vocales délaissées. Et les autres là haut, comme ils s'agitent, comme ils rigolent, comme ils s'aiment entre les ondes tumultueuses. Des bulles viennent parfois s'éclater contre mon corps froid. Je les vois autour de mes paupières, et souvent je m'imagine que je les sens. Il n'en est rien évidement, mais ce fantasme réjouit ma conscience, qui, elle, entend des échos lointains se refléter entre les flots. Des voix qui se dispersent, des bribes de mémoire de ce que j'ai perdu. Je suis marionnette de mes pensées, de mes remords. Et quand je m'ennuie, les murmures entre les parois de mon crâne livide exaltent mon amertume. Ce sont ces restes de mots et de promesses qui me hantent dans mon sommeil éternel. De mes cils, ils se détachent sans cesse, de mon âme nécrosée de disgrâce, ils se faufilent. Si un jour quelqu'un avait écouté mes cris d'amour fou, que quelqu'un ne les avait pas ignoré. Je ne serais pas allongée dans cette couche glaciale. Le lit au creux de l'oubli où le corps et la chair se décomposent. Je suis la fiancée de l'eau. Oubliée, abandonnée, abusée. Qu'un cadavre sous les roseaux.


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